jeudi 12 mai 2016

Visite au château du Tertre



Samedi 8 mai, le festival Réma...lire s'exportait au château du Tertre, à Serigny, près de Bellême. Un lieu voulu par Roger Martin du Gard comme une œuvre à part entière, dédié à la création et à l'amitié, et où Gide et la Petite Dame, évoqués dans la conférence de la veille, sont venus si souvent. 

Merci à Anne Véronique de Coppet et à sa fille Béatrice pour leur accueil. Et merci à elles d'entretenir si bien la mémoire de cet écrivain majeur, que des lectures de textes pendant la visite ont permis de redécouvrir sous divers aspects de sa personnalité et de son grand talent.




« Le Tertre, tel qu'il ressortira de mes mains, sera incontestablement une œuvre. Une de mes œuvres. » écrit Roger Martin du Gard dans son Journal à la date de novembre 1924.

Et déjà, le 14 juillet 1921, il définissait ce que serait le Tertre :

« Je ne puis m'empêcher d'y situer tous les rêves d'avenir. Je voudrais créer là une œuvre d'art complète ; je puis le faire, je puis parachever l'enchantement, l'harmonie naturelle de ce lieu. J'aimerais, avant de mourir, avoir pu utiliser les dons que j'ai pour faire là un ensemble unique, et en faire profiter ceux qui m'entourent. Je rêve d'une hospitalité ouverte à tous mes amis, dans ce cadre inoubliable. »


  

 
A Gide qui s'étonne de n'avoir pas de nouvelles depuis un certain temps, Martin du Gard expliquera que ce projet lui prend du temps :


Bellême, Orne 6 juin 25

Cher grand ami.

Je comprends bien que vous ne puissiez tout à fait comprendre... La vérité est que j'ai entrepris de bien plus grands travaux que je ne l'ai dit, et que c'est bel et bien une restauration générale de toute la maison, avec, pour ainsi dire, la création, la re-création d'un parc (gros transports de terrains, surélèvements, nivellements, des milliers de mètres cubes à remuer, abattages d'arbres, plantations, percements, dessins d'allées, etc. Sans compter un bassin, une fontaine d'eau vive...) Et pour tout ça, je suis comme Andoche, lorsqu'il dit : « J'ai mon idée d'imbécile là-dessus, comme sur toutes choses... » J'ai tout dessiné, prévu, combiné si méticuleusement que je me trouve « responsable », et si fort engagé personnellement à la bonne exécution de cette vaste entreprise que je suis bien maintenant obligé de la suivre, jour après jour, et de veiller à la réalisation intégrale.
Croyez-moi cependant si je vous dis que j'ai une petit pièce à l'écart, où je me réfugie constamment et où la table est couverte par les « dossiers » Thibault, IVe partie. Aujourd'hui même, je ne me suis presque pas occupé d'autre chose. Mais je n'en suis pas encore à «écrire » le premier chapitre, ça non...
Vous pensez bien que ce ne sont pas les maçons qui m'empêcheront de faire un saut à Paris, et que je ne vous laisserai sûrement pas partir sans une furieuse accolade.






 


 
Et le voici enfin habitant cette œuvre achevée :

« Cher Tertre! Je jouis infiniment du parc. Est-ce la beauté du site ? Je suis pourtant extrêmement peu sensible aux « paysages » ! Non, c'est plus subtil. Ce que j'aime tant ici, c'est une exceptionnelle harmonie entre cette nature-là (l'été, avec la chaleur) et moi. Aucun, aucun endroit du monde ne m'a jamais semblé être aussi exactement le décor de mon monologue intérieur. J'y retrouve tout ce qui fait le propre de ma vie spirituelle. Ma pensée prend de l'aisance dans ces beaux espaces, s'ordonne bien dans ce cadre aux justes proportions, s'épanouit dans ce silence un peu sauvage, se développe librement dans ce lieu qui est à la fois intime, recueilli, et empreint de grandeur. L'ombre est haute sous ces grands arbres; le regard s'allonge hardi­ment vers ces horizons éloignés ; et pourtant les premiers plans vous limitent : le concret est là tout autour, proche, rassurant, mais nullement tyrannique. Il n'y a guère d'endroit qui mériterait si bien qu'une grande œuvre naisse là. (C'est un endroit où l'on imagine Montesquieu écrivant L'Esprit des Lois...) Et peut-être que je ne dis pas le principal : ces vieilles pierres usées et toujours solides, ces vieux arbres devenus si beaux pour avoir poussé lentement, obstinément, sur un sol très ingrat, toutes ces traces d'un passé qui dure, sont un exemple convaincant de ce que peuvent la patience, la ténacité, la collaboration de la volonté et du temps, pour la réalisation d'une œuvre, d'une vie, préméditées.»




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